Evgen Bavcar : un photographe aveugle
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Un homme aveugle qui porte des
lunettes transparentes, qui s'habille avec le même chapeau noir, le même manteau
et la même écharpe rouge qu'Aristide Bruant tel qu'il est peint par Toulouse
Lautrec, qui parle à la radio de peintures qu'il n'a jamais vu, et qui prend des
photos...Son nom est Evgen Bavcar, il est photographe, et il est
totalement aveugle. Il est né en 1946 en Slovénie, et il a perdu la vue
avant d'avoir 12 ans. 4 ans après, il prend un appareil photo en mains pour la
première fois, pour prendre une photo de la fille qu'il aimait. Selon ses
dires, il a ressenti du plaisir d'avoir "volé" et fixé sur pellicule quelque
chose qui ne lui appartenait pas. Il découvre qu'il peut posséder ce qu'il ne
voit pas. Il intensifie ses activités photo jusqu'à être exposé un peu
partout en Europe.
Selon le poète allemand Walter Aue, il est le "quatrième
inventeur de la photographie", après Niepce, Talbot et Daguerre.
A voir ici. Les textes
sont passionnants pour ceux qui lisent l'anglais. C'est vraiment une autre
vision de la photo à découvrir, qui remet certaines idées en place.
"Le voyeur absolu"
Chapitre
"Les hirondelles"
Oui, elle était vraiment belle, séduisante,
fascinante, presque la quintessence de la beauté terrestre, que le ciel existe,
qu'il n'existe pas. Anne pouvait à tout moment se transformer en sorcière de la
consommation. Sa beauté sacralisait les biens, les dotait d'une étiquette
prestigieuse. Elle soignait son apparence en la ressourçant aux regards
innombrables de ses admirateurs. Elle découpait son visage en multiples
morceaux qu'elle partageait entre plusieurs banquiers, desquels elle exigeait
des intérêts élevés et une garantie sentimentale. La dispersion de son bien lui
assurait plus que le minimum vital; d'autre part, ses débiteurs ignoraient
mutuellement leur existence et ne pourraient par conséquent jamais provoquer
une chute en chaîne de ses valeurs. Quelle prudence, quelle sécurité, me
disais-je devant l'assurance sentimentale de son image, qui n'avait à craindre
ni les incendies ni les inondations.
*
Toujours pieds nus,
j'attendais un événement essentiel, miraculeux, qui pût me projeter dans ses
bras. Impatient de cet acte des plus naturels, j'allais oublier le principal,
la vertu de ne pas dire sa faim, si insupportable soit-elle, de la feindre
seulement pour autant qu'on ne puisse la cacher ou même la nier devant une
table garnie des dons de la terre. Mais mes mains me trahissaient de plus en
plus et quelques gestes m'échappèrent vers un fruit imaginaire. Pourtant je
décidai de conserver l'indifférence, même envers le bon pain blanc qui
commençait à briller dans la main qu'Anne allait me tendre.
*
Venue chez moi, elle chercha en
vain dans mon visage le miroir, et je sentis ses regards errer furtivement
entre moi et les miroirs suspendus au mur pour lui donner l'illusion de se
croire vue et reconnue.